« Sur la montagne du Diamant, à Gangwon,
12.000 pics se hérissent
Ces pics abritent 80.000 temples,Ma voix s’élève dans le sanctuaire de Chilsong,
au temple de Yujeom,
Priant pour le fils ou la fille que je n’ai pas encore,
Indifférente aux prières que mes parents
ruminent depuis trois mois et dix jours.
Épargne celui qui est loin de sa maison…
Arirang, arirang, arariyo… »
Concert surtitré en français
Symbole musical du peuple coréen, Arirang offre un exemple étonnant d’identification nationale et de création collective à partir d’une chanson dont l’origine est à la fois incertaine et mythique : une complainte que l’on dit née dans la province de Gangwon et qui exprime l’angoisse d’une jeune fille dont le fiancé est parti pour Séoul, bravant les dangers de la rivière sur sa cargaison de bois flotté.
Arirang — le mot signifie mon bel amour ou mon grand amour — est donc le titre d’une des centaines de chansons villageoises qui forment le répertoire de minyo. Ce qui le distingue, c’est cet obsédant refrain « arirang, arirang, arariyo » qui exacerbe son caractère nostalgique et désespéré. Arirang est l’expression parfaite du han, un sentiment aussi singulier pour les Coréens que le duende pour les Andalous, le tarab pour les Arabes ou le blues pour les Afro-américains, une forme de mélancolie qui irrigue tous les arts coréens, en particulier les arts populaires, mêlant tout à la fois regrets et nostalgie, désir et frustration, révolte et résignation et bien d’autres sentiments encore.
Arirang connaît à partir du XIXe siècle une fortune étonnante. En ce début d’exode rural, il permet aux travailleurs que la misère a jetés sur les routes d’exprimer leur désespoir. Ce chant va dès lors bourgeonner, éclore et se répandre en une soixantaine de versions régionales et quelque 3600 variantes. En 1926, un film muet intitulé Arirang et qui raconte la résistance d’un jeune étudiant coréen contre l’occupant japonais lui apporte la consécration. À la fin de chaque représentation, le public enflammé se dresse et entonne ce chant qui devient une sorte d’hymne nationaliste. Aux versions villageoises viennent alors s’ajouter celles, plus élaborées, d’artistes professionnels. Alors, chant traditionnel ? Musique populaire ? Les chercheurs en débattent. Emblème national ? Tous s’accordent là-dessus.
Inconnu en France, le japga fait aussi partie du répertoire populaire coréen, plus particulièrement des régions de Gyeonggi (centre), Seodo (ouest) et Namdo (sud). Inspiré par les minyo, les ballades gasa et le pansori, c’est un chant qui requiert beaucoup de technique et a toujours été interprété par des professionnels, une sorte de méditation envoûtante sur trois notes tantôt martelées sur le rythme du tambour tantôt longuement ornementées, avec de brusques explosions dans l’aigu suivies d’un retour au calme.
Deux trésors vivants, les chanteuses Lee Chun-hee et Yoo Ji-suk, se partageront le temps d’une soirée les arirang de sept régions de Corée et les japga de Seodo, de Namdo et de Corée du nord, entrecoupés par les japga de Gyeonggi de la jeune Kang Hyo-joo et quelques improvisations éblouissantes de Choi Kyuong-man au hautbois taepyeongso.
Pierre Bois