Quand peut-on séduire une jeune fille en jouant de la flûte ? L’anaconda vient-il écouter ce que joue l’orchestre ? Comment devient-on chef en chantant ? De la séduction à la diplomatie internationale, en passant par les jeux politiques internes au village, les musiques wayãpi dont certains répertoires sont immenses, peuvent se définir comme des actes d’échange.
Ces musiciens danseurs du Haut-Oyapock parlent le wayãpi (prononcer wayampi). Certains parlent aussi le français, le créole de Guyane, et un peu de portugais du Brésil. Les terribles épidémies du xixe siècle ont décimé ce peuple qui, de 6000 individus, est tombé à 600 en moins de cent ans. Mais depuis 1970, la démographie et les expressions culturelles démontrent la vitalité actuelle de ce peuple tupi. Les Wayãpi sont aujourd’hui 2000, répartis en de nombreux villages sur le fleuve Amapari au Brésil et sur le fleuve Oyapock en Guyane. Des chants, des danses qu’on croyait disparus refleurissent aux côtés des sound systems alimentés par des groupes électrogènes.
Vivant dans la grande forêt, les Wayãpi préservent une relative indépendance grâce aux jardins que les femmes cultivent et aux produits que les hommes rapportent de la forêt (chasse, pêche, fruits). En Guyane, ils circulent sur l’Oyapock avec des canots en aluminium poussés par des moteurs hors-bord. Certains ont des emplois salariés, la plupart bénéficient d’allocations diverses. Le gouvernement français entretient écoles et dispensaires dans les gros villages. Tous sont de nationalité française, votent pour leur conseil municipal et à toutes les consultations françaises et européennes. Chaque village se choisit aussi un tuwiyã, un représentant qui oeuvre à son unité et oriente ses relations extérieures. Les jeunes gens portent volontiers shorts, T-shirts, casquettes et baskets ; ils aiment le reggae et le ragga. A l’âge adulte, avec le mariage et les enfants, ils abandonnent peu à peu ces signes de la jeunesse : ils laissent pousser leurs cheveux, portent le pagne et dansent peu sur les musiques non-wayãpi.
Ces musiciens danseurs ne sont pas habitués à présenter leurs danses hors de leurs villages. Ils ne sont pas des gens de scène, pas des musiciens professionnels, ni même des spécialistes. La musique et la danse constituent une compétence de plus qu’ils ajoutent à leurs multiples savoir-faire.
Intimité des soli de flûte, son impressionnant des orchestres de grandes clarinettes en bambou, poids cérémoniel d’une grande danse des poissons : dans ces sons et ces mouvements s’exprime et se construit l’une des grandes cultures tupi de l’Amazonie. Mais on peut y percevoir aussi la trace des échanges que les Wayãpi ont noués avec d’autres peuples des Guyanes, ainsi qu’une corporéité contemporaine, une manière de se présenter aux autres aujourd’hui.
Jean-Michel Beaudet