Art vocal classique, le Ca tru s’est développé dans le delta du Fleuve Rouge, l’ancien Tonkin, à partir des hat khuon, chants des rites royaux au XIe siècle, puis des hat a dao, chants des rites villageois. Adopté par la suite comme musique d’art par les lettrés, le Ca tru connaît alors une véritable apogée à partir du XVe siècle et suscite un vaste répertoire lyrique et mélancolique.
Trois coups secs du tambour d’éloge et le luth esquisse quelques notes en guise de prélude, une petite clave de bambou se met alors à crépiter et la chanteuse entonne son poème. La voix ne suit pas un contour mélodique précis mais procède par petites touches, à mi-chemin de la déclamation et du chant. Menaçant à tout moment de se briser sous l’effet d’un vibrato subtilement travaillé appelé do hot (verser des perles), elle s’accorde à merveille à la langueur du texte poétique : « La chute des feuilles d’éléocca en automne, la brume qui descend des nuages, les sons tristes du luth, remplissent le cœur des jeunes filles d’une nostalgie qui se transforme en chagrin d’amour ».
Au début du XXe siècle, avec l’essor économique et urbain, les chanteuses de Ca tru partent à la ville chanter pour un public de parvenus. Ces co dau étant souvent confondues avec des courtisanes, la réputation du Ca tru s’en trouve ternie. Interdit après l’indépendance, le Ca tru ne va se maintenir que dans les maisons de quelques rares musiciens rassemblés autour des dernières survivantes de cet art. Nguyen Van Mui va ainsi former avec ses fils et sa fille l’ensemble Ca tru Thai Ha autour de l’héritage de la vénérable Quach Thi Ho (1909-2001) et offrir au Ca tru une possibilité de regain à partir des années 90. Désormais trop âgé pour voyager, il passe le témoin à ses enfants et à sa petite-fille.
Pierre Bois