Le royaume de Bahrein occupe un tout petit archipel du Golfe Persique situé entre l’Arabie saoudite et la péninsule du Qatar. Ce « jardin d’Eden » aux nombreuses sources et oasis, cette Dilmûn qui pourvoyait les royaumes de Mésopotamie en bois, cuivre et pierres précieuses, cette Tylos des Grecs et des Séleucides fut de tout temps au coeur des échanges commerciaux et culturels qui reliaient le Moyen-Orient, l’Inde et la corne de l’Afrique.
Bahrein fut aussi l’un des plus grands producteurs d’huîtres perlières de la région. Jusque dans les années 40, pas moins de 300 boutres embarquaient de juin à septembre plongeurs, matelots et parfois armateurs et marchands vers les bancs d’huîtres à la recherche des précieuses larmes d’Aphrodite. Un métier pénible que le chant aidait à supporter. Chaque bateau enrôlait un ou deux nahhâm qui avaient pour mission d’encourager les travailleurs de la mer. L’équipage répondait à leurs chants aigus et entrelacés par de longues notes graves et gutturales et un accompagnement rythmique élaboré. La nuit tombée, on se délassait en chantant des fijiri sur l’accompagnement polyrythmique des tambours mirwas et des jarres jahla.
Aujourd’hui, le pétrole a détrôné cette périlleuse activité. Elle est cependant si ancrée dans la mémoire collective que les chants des pêcheurs de perles continuent de survivre dans les dâr, les maisons de musique, grâce à des associations villageoises comme l’ensemble Qalali.
Mais les dâr sont aussi le lieu privilégié de la musique de ‘ûd, le luth arabe. Musiciens et mélomanes s’y retrouvent pour écouter les poèmes chantés par un luthiste accompagné de tambours et de claquements de mains. À la fin du xixe siècle, la morale wahhabite condamne les divertissements musicaux, au point que le grand luthiste de cette époque, Muhammad Fares, encourera des peines de prison et devra se cacher pour pratiquer son art. Dépourvues de fenêtres, souvent enterrées dans le sol, ces maisons de musique protégeront les musiciens des oreilles indiscrètes. La musique de luth se compose de courtes suites vocales et instrumentales débutant par un prélude improvisé, parfois suivi d’un poème mawwal qui introduit une série de chants strophiques, les sawt. Dans la plupart des pays du Golfe, les sawt sont des chants à danser. À Bahrein, c’est une musique savante et sérieuse, dont le répertoire se subdivise en plusieurs genres appelés ‘arubi, shami, yamâni, san‘âni, hijâzi, etc. selon leur forme ou leur origine : Syrie, Yémen, Hijâz…
L’ensemble Qalali aujourd’hui dirigé par Sa’ad al-Jaffal est un des plus anciens du pays. Il fut fondé au début du xxe siècle par les habitants du village de Qalali à l’est de l’île de Muharraq, à une époque où la pêche aux perles était encore florissante. Depuis lors, une fois par semaine, les musiciens se retrouvent dans une maison isolée pour chanter ces chants de la mer et ces sawt et les transmettre aux nouvelles générations.
Pierre Bois