L'ensemble The SINAWI rassemble des maîtres solistes de renommée incontestée dans le monde de la musique traditionnelle en Corée, certains étant d’ailleurs des trésors vivants.
Depuis trente ans, année après année, la Corée révèle à nos oreilles émerveillées des pans méconnus de son patrimoine musical : musique de cour aak, opéra pansori, chants gagok, solos instrumentaux sanjo, musique de chambre yeongsanghoesang, chants bouddhiques bompae… Cette année, le Festival de l'Imaginaire poursuit cette exploration avec le sinawi.
Cette improvisation collective s'enracine dans la musique vocale et instrumentale des chamanes coréens. Musique et danse occupent en effet une place essentielle dans les grands gut célébrés en l'honneur des divinités d'une maison, d'un village, ou pour la commémoration d'un défunt. Au XIXe siècle, le sinawi, jusque-là cantonné aux rituels et à l'accompagnement de la danse d'exorcisme salpuri, est repris par des musiciens professionnels et joué dans les fêtes et les célébrations, pour le plaisir de l'écoute certes, mais aussi parce qu'il symbolise un trait essentiel de la philosophie coréenne : la restauration de l'harmonie entre les hommes. Un premier disque, enregistré par deux maîtres des cithares gayageum et geomungo en 1928, consomme la sécularisation du sinawi qui entre dès lors dans les programmes de concert et de radio.
Les amateurs de musique improvisée, de sons inusités, de rencontres inattendues, se délecteront de ces mélodies qui se croisent, se mélangent dans une sorte de chaos organisé dont le tempo de plus en plus rapide nous entraîne vers une acmé d'émotion et de plaisir des sens, à l'image de la transe qui possède le chamane dans son voyage à travers les trois mondes.
Les Coréens qualifient parfois le sinawi de « discorde harmonieuse ». Mais que l'on ne s'y trompe pas, le sinawi n'est pas un happening musical. Il exige des musiciens une écoute réciproque et une complicité qui est le fruit d'un long travail en commun. Musique traditionnelle, cette re-création perpétuelle témoigne pourtant d'une étonnante contemporanéité, avec ses sonorités tantôt soyeuses tantôt percussives et ses ornements microtonaux empreints de mélancolie.
Rares sont aujourd'hui les musiciens qui en maîtrisent les codes modaux et rythmiques et laissent en même temps libre cours à leur créativité. Les artistes Kim Haesook à la cithare à douze cordes gayageum et Kim Younggil, à la cithare à archet ajaeng, sont de cette trempe. Accompagnés par Yoon Ho-se au tambour janggu, Kim Chung-hwan à la flûte daegeum et la chanteuse Yu Mi-ri, ils nous proposent un voyage à travers les différents styles de sinawi des régions de Jindo et de Namdo.
Ce programme sera précédé de deux japga, un genre vocal totalement inconnu en France. D'origine populaire, ces chants élaborés exigent une grande maîtrise et sont réservés depuis longtemps aux artistes professionnels gwandae. Accompagnée par un petit ensemble instrumental, Yu Mi-ri, l'une des meilleures chanteuses de pansori de la nouvelle génération, interprétera deux japga de la région de Namdo.
Pierre Bois