Le chant, qu'il soit monodique dans le nord ou polyphonique dans le sud, revêt une importance considérable dans la vie des Albanais. Qu’il s’agisse d’une naissance, de fiançailles, de noces ou d'un simple repas entre amis, il coule, aussi spontanément que le raki et le vin. Chants historiques, épiques, éloge d'une femme, d'un paysage, chroniques satiriques, chants de séparation, amours impossibles, nostalgie d'un pays perdu… le répertoire semble inépuisable et se nourrit en permanence de chants nouveaux.
Le rapsode Pjeter Matusha fait revivre aux sons de sa viole lahutë, les héros de l'histoire albanaise, leurs exploits, leurs amours, leurs martyres.
Sherif Dervishi vient de Dibër, à deux pas du Kosovo. Maçon de son état, il allie la spontanéité et le naturel du musicien amateur à une grande maîtrise de la voix et du luth çifteli. Il interprète des chants d’amour, des chants satiriques, des chroniques et de douloureux chants de conscrits de l'époque ottomane.
Le clarinettiste Barjam Saçma vit dans un village à côté de Fier, dans la plaine de la Myzeqë, sorte de frontière culturelle entre le nord et le sud. Avec son ensemble (violon, luth, accordéon, chant et percussions) il se produit dans les mariages, improvisant des élégies bouleversantes suivies de danses dont les rythmes lents et boîteux déroutent puis envoûtent l’auditeur.
Les iso-polyphonies du sud de l'Albanie ont été proclamées chef-d’œuvre du patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'Unesco. Le marrës lance la première phrase, une seconde voix lui répond par une petite vocalise hachée puis le chœur entonne le bourdon (iso) sur lequel le soliste martèle son chant agrémenté par les broderies de la seconde voix et parfois d'une troisième.
L’ensemble Bilbilat réunit des chanteurs de premier plan comme Nazif Çela, Mehmet Vishe ou Diana Ruci, et couvre aussi bien le répertoire chaleureux et doux de Gjirokastër que les chants drus et puissants de Vlora et de Lapardha. Quant aux polyphonies des Tchames, les moins connues car leur diffusion hors d’Albanie fut plus tardive, leur style vocal empreint d'une grande souffrance nous fait partager un souvenir douloureux. Celui de la Tchameria, au nord de la Grèce, ce pays perdu qu'ils durent quitter après la deuxième guerre mondiale.
Gramsh est célèbre pour ses flûtes pastorales fyell, au timbre riche en hamoniques. Bashkim Llapushi, Neim Sharku, Shaqir Sinani et Gëzim Bajrami sont bergers, ils improvisent des airs bucoliques intitulés : L’avaz de la flûte qui pleure ; L'Avaz à l’ombre des arbres ; Quand le troupeau va boire ; Chant de la fleur de printemps...
Pierre Bois