L'origine du son jarocho remonte au 17e siècle et nous renvoie à l'histoire de la colonisation et de l'esclavage au Mexique. Ce style musical métisse né dans la région caribéenne, plus particulièrement dans le sud de l'Etat de Veracruz (Sotavento), est marqué par la cohabitation de musiques espagnoles, africaines et indigenas.
Traditionnellement, le son jarocho est indissociable de la fête rurale du fandango ou huapango, qui, sur la place publique des villages, réunit musiciens, danseurs, chanteurs, familles et membres de la « communauté », autour de la tarima, estrade en bois sur laquelle les couples pratiquent le zapateado. L'ensemble musical (aussi appelé musica de cuerdas) est presque exclusivement composé d'instruments à cordes : différents types de guitares jaranas, requintos, leona, violon, harpe. Quelques percussions telles que le pandero, le guiro, la quijada (mâchoire d'âne) ou encore le marimbol peuvent plus rarement faire leur apparition. La poésie chantée, improvisée ou non, tient une place importante : il s'agit d'un chant déclamé caractérisé par son placement, son timbre et sa puissance sonore à même de pouvoir « percer » au sein du spectre de l'ensemble instrumental acoustique, qui réunit généralement plus d'une quinzaine de musiciens.
Fruit d'un fort syncrétisme, qui a vu le jour durant la période coloniale, le fandango résonne au rythme des cycles agricoles, des fêtes religieuses, et fait son apparition lors de mariages, funérailles, baptêmes, anniversaires, et autres événements marquants de la vie quotidienne. Si dans les années 1960-70 cette fête tend à disparaître, elle connaît depuis les années 1980 (avec l'émergence du movimiento jaranero) un renouveau sans précédent, devenant un puissant medium d'interaction sociale pour toute une génération.
Aujourd'hui, la pratique du son n'est plus exclusive aux villages du Sotavento, et a même dépassé les frontières de l'État de Veracruz : de nombreux fandangos fleurissent dans les grandes villes du Mexique, et au-delà. De même, la pratique musicale du son s'est désolidarisée du contexte de fête populaire : elle se développe de façon autonome en devenant une musique jouée sous forme de concerts amplifiés ou enregistrée en studio. C'est cette jonction entre un son jarocho à écouter et un fandango à pratiquer que ce rassemblement de huit musicien.e.s de Veracruz souhaite mettre en avant.
Joel Cruz Castellanos est un musicien reconnu de la ville de Santiago Tuxtla, réputé pour son engagement vis-à-vis du son, en tant que « passeur de tradition » (professeur, collecteur, chercheur, collectionneur) et en tant qu'artiste professionnel. Maître de la leona (basse traditionnelle jouée au plectre), il a participé à de nombreux projets musicaux (avec La Candela, Los Pájaros del Alba, Los Vega, Río Crecido, Natalia Lafourcade), et est actuellement membre du groupe de renommée internationale « Los Cojolites ». Pour cette tournée exceptionnelle en France, il sera entouré de sept musicien.ne.s, originaires des Tuxtlas ou de régions alentours : chacun.e présente une manière spécifique de jouer, chanter, danser. La richesse et la diversité de cet ensemble musical donne à découvrir quelques-unes des multiples facettes du son jarocho, et à faire entendre différents instruments, répertoires et modes de jeu, tout en amenant le spectateur à s’immerger dans l'atmosphère sonore de la fête du fandango.
Charlotte Espieussas et Joel Cruz Castellanos
Projet lauréat du 6e Prix de la Maison des Cultures du Monde décerné à Charlotte Espieussas (université Toulouse Jean Jaurès/LISST)