Le Don ca tai tu, littéralement « musique instrumentale et vocale des amateurs », est une musique de divertissement pour connaisseurs de toutes classes sociales. Le Ca tru du nord était apparu dans le delta du Fleuve Rouge. Le Don ca tai tu, lui, est né dans le delta du Mékong tout au sud du pays et beaucoup plus tard, à la fin du XIXe siècle. Comme dans le Ca tru, on y retrouve un fond de musique rituelle sur lequel se greffent des mélodies populaires et de la musique de chambre de la cour impériale de Hué. Cette dernière a été apportée par des musiciens exilés dans le sud après la Révolte des lettrés de 1885 contre le pouvoir colonial français. Mais à la différence du Ca tru qui frappe par son unité de style, le tai tu est très varié : pièces rituelles, chansons d’amour romantiques, nostalgie du temps qui passe, légendes bouddhiques, pièces instrumentales au contrepoint virtuose.
Dans les années 20 et 30, les musiciens de Don ca tai tu choisissent vingt pièces qu’ils désignent comme leur répertoire de base, celui que tout musicien doit connaître parfaitement. À ce répertoire s’ajoute une centaine de pièces et de chants de moindre importance ainsi que des compositions plus récentes. Contrairement au répertoire du Ca tru qui est fixé une fois pour toutes depuis environ deux siècles, le répertoire de Don ca tai tu ne cesse d’évoluer au gré des compositions nouvelles.
Ce répertoire convoque divers instruments selon l’humeur du morceau. Aux notes un peu sèches du luth en forme de lune, aux arpèges brillants de la cithare et à la rondeur généreuse de la guitare vietnamienne viennent se joindre une petite vièle à deux cordes, un monocorde aux sonorités languissantes et la voix, puissante et généreuse. Chaque morceau commence par court prélude qui sonne comme une joyeuse cacophonie où chaque musicien semble vérifier l’accord de son instrument. En fait, les instrumentistes "installent" la couleur expressive du morceau. Puis, à un moment donné, comme par magie, ils se retrouvent sur la même note. Un petit coup de cloche de bois, et la pièce commence. Celle-ci n’est pas composée dans les moindres détails, il s’agit plutôt d’une structure qui laisse une certaine liberté aux interprètes. Sur ce "squelette", il ne reste plus qu’à mettre de la chair et chacun le fait à sa manière, selon son inspiration et selon la technique propre à son instrument : ce sont des notes additionnelles, des redoublements, des variations de tempo, des glissandi et des portamenti, des broderies. Et comme il s’agit d’une musique d’ensemble, les différentes parties se superposent, créant une étonnante polyphonie sur laquelle vient, ici et là, se poser la voix du chanteur ou de la chanteuse dans un style fleuri et charmant.
Pierre Bois